Interdiction de franchir la bande « Decathlon » qui encercle l’entrée du magasin sportif de Bordeaux-Lac ce vendredi 30 juin 2023. Pillée la veille au soir et théâtre de dégradations, l’enseigne restera fermée jusqu’à nouvel ordre.
Depuis la mort de Nahel, adolescent de 17 ans tué par un policier à Nanterre mardi 27 juin après un refus d’obtempérer, les soulèvement se multiplient partout en France, en particulier dans les quartiers populaires, et la métropole de Bordeaux n’échappe pas à la règle.
En décembre 2021, un rapport du département de la Gironde soulignait qu’à Bordeaux « des déséquilibres intra-muros très importants persistent notamment sur les six quartiers prioritaires de la ville », dont fait partie le Lac-Les Aubiers. Le taux de pauvreté y atteignait 53% en 2018, ce qui en fait l’aire urbaine la plus pauvre de Bordeaux, et même, de Nouvelle-Aquitaine.
« Décathlon ne vend plus de fusil depuis des années »
« L’alarme incendie s’est déclenchée. Les pompiers étaient déjà sur place quand la sécurité est arrivée », raconte Jacques Bouffard, directeur régional de Decathlon. Des pillards se sont introduits en pleine nuit dans le magasin, forçant le rideau métallique. Un départ de feu a déclenché le système anti-incendie. Plusieurs produits ont brulé, et ce matin, « il y avait de l’eau partout à l’ouverture ».
Contrairement à ce que certains médias ont affirmé pendant un temps, aucun fusil n'a pu être dérobé chez Décathlon puisque l'enseigne n'en vend pas.
Il est trop tôt pour indiquer avec précision le montant du préjudice et le détail des objets dérobés. L’heure est à l’inventaire. Pour le moment, Jacques Bouffard constate que des montres, des sacs, des boules de pétanque, des trottinettes et des vélos ont disparu. Des munitions de chasse ont également été subtilisées. Mais pas d’arme à feu, assure le responsable : « Decathlon ne vend plus de fusil depuis des dizaines d’années. »
« Ils se passent le mot sur les réseaux »
Chez le concurrent Intersport du quartier Ginko, à Bordeaux, même scénario. Des individus cagoulés et vêtus de noir ont brisé une vitre avant de s’introduire dans la boutique. L’alarme de sécurité s’est déclenchée à 3h30, raconte le responsable du magasin Thomas Pintureau. Nike, Lacoste, boutique du supporter : les rayons textiles ont été dévalisés. Bon nombre de vélos et de trottinettes ont également disparu. L'Intersport espère rouvrir demain, samedi 1 juillet.
« C’est pas quelque chose dont on avait besoin », souffle Thomas Pintureau, dépité. « C’est la semaine des soldes qui commence, on commençait à préparer l’été… » Fermé ce vendredi, le magasin espère rouvrir demain. Mais le responsable se montre inquiet : « On voit qu’ils se passent le mot sur les réseaux sociaux pour attaquer. Apparemment, ils vont revenir ce soir. Comme la police est débordée, ils profitent du contexte », soupire le commerçant. Des messages sur les réseaux sociaux avaient appelé à s'en prendre au magasin Intersport de Ginko.
Selon plusieurs habitants et commerçants interrogés par Actu Bordeaux, jeudi dès 17 heures, « tout le monde savait que l’Intersport serait visé ».
50 à 100 000 euros de préjudice
« Chez nous ils sont venus deux soirs d’affilée », témoigne Loïc, le patron d’une lunetterie installée à quelques pas. Sa vitrine est fracassée, ses étagères sont vides. « Ils m’ont tapé toutes mes solaires », raconte Loïc. Il estime le préjudice entre 50 et 100 000 euros. « Heureusement que je suis passé récupérer mes lunettes avant ! », s’exclame une passante.
Une autre cliente accompagnée de sa fille exhibe une vidéo enregistrée par un de ses voisins. On y voit une bonne vingtaine d’individus vêtus de noirs s’en prendre au magasin de lunettes. La plupart ont le visage masqué.
Des vidéos du même genre « tournent sur TikTok », illustre un salarié, téléphone à la main. Sur certaines, les pillards se promènent avec des caddies, « comme s’ils faisaient leurs courses ». « Ce soir, ils ont prévu d’attaquer Cultura, Boulanger et la pharmacie. Vous pouvez aller la voir, c’est juste à côté. »
« On est une cible facile »
Dans son bureau, Etienne Seuve ne sait plus où donner de la tête : « Des voisins nous ont prévenu : les jeunes d’hier soir ont dit qu’ils allaient venir à la pharmacie. Nous sommes très inquiets pour la nuit qui arrive. »
Après avoir passé en revue ses contrats d’assurance, le patron de la pharmacie a prévenu la police. Réponse décevante pour lui : « Elle n’interviendra que s’il y a de la casse et ne met a priori pas de moyen de prévention en œuvre. »
Ce soir, la pharmacie de Ginko et d'autres commerces du quartier ont été désignés comme cibles sur les réseaux sociaux.
D’autres commerçants indiquent qu’une compagnie de CRS pourraient patrouiller dans le quartier ce soir, mais le pharmacien demeure inquiet : « On est une cible facile. J’ai pensé à mettre des vigiles ce soir, mais les frais ne seraient pas pris en charge. Et si j’installe des barricades en bois, elles risqueraient d’être brûlées. »
« C’est pas normal tout ça »
En attendant le potentiel déluge, Etienne s’organise comme il peut. « Je vais ramener les produits sensibles chez moi », explique le pharmacien. Certains médicaments ont une certaine valeur sur le marché noir. D’autres peuvent intéresser certains pour « un usage personnel ».
En attendant le tram, juste devant la pharmacie, un homme discute avec un jeune. « C’est pas normal ce qu’il s’est passé avec le gamin à Nanterre. Mais maintenant, tout est prétexte à casser. C’est pas normal tout ça. La violence c’est jamais une solution. Rien n’est normal. »