Les nouveaux quartiers de Bordeaux : « Un quartier neuf, c’est comme une greffe, ça ne prend pas tout de suite »

Sud Ouest | 30/12/2024

À Ginko, aux Bassins à flot et à Saint-Jean Belcier, l’installation de la vie de quartier est passée par des phases plus ou moins longues et compliquées. Elles ont été analysées par l’Agence d’urbanisme de la Métropole

Les nouveaux quartiers de Bordeaux : « Un quartier neuf, c’est comme une greffe, ça ne prend pas tout de suite »

En janvier 2024, une balade dans le quartier Ginko, lors de la concertation sur le projet Jallère, pour donner son avis sur les espaces publics et la création d’une vie de quartier. © Jean Maurice Chacun / SUD-OUEST

L’Agence d’urbanisme de Bordeaux Métropole (A’urba) a réalisé trois études sur les démarrages de quartiers neufs : Ginko en 2017, Bassins à flot en 2018 et Saint-Jean Belcier en 2024. L’architecte urbaniste Sophie Haddak-Bayce, directrice d’équipe usages et qualité de vie, et la sociologue Emmanuelle Goïty, deux responsables de ces travaux, livrent les principaux enseignements.

- Ginko a connu des débuts difficiles, qu’est-ce qui l’explique ?

Emmanuelle Goïty : Le phasage a été très long, la partie centrale a été livrée en premier avec une rue commerçante et beaucoup de chantiers autour. Il y avait du stationnement sur les friches, un peu de bazar qui pouvait être mal vécu par les habitants. Le quartier a été très observé dès le début, à cause de la dimension écologique, et c’était le premier en France construit et géré par Bouygues. Les malfaçons ont été très médiatisées, avec la chute du balcon d’un immeuble. Cela a marqué Ginko. Le démarrage de la vie commerçante a été compliqué, avec peu d’habitants, les commerces avaient du mal à vivre.

- Les premiers arrivés ont essuyé les plâtres ?

Emmanuelle Goïty : C’est souvent le cas des pionniers, comme on les appelle. Ces quartiers imposent une nouvelle façon de vivre dans de grands collectifs, avec des syndics de copropriété auxquels les habitants ont dû s’acculturer. Il y a plus de monde, de voisins, de discussions. Tout le monde arrive en même temps, il y a une vie à construire, un apprentissage imposé aux pionniers. Ils arrivent dans un lieu neuf en pensant que tout sera parfait, comme sur la plaquette commerciale, or ils doivent construire eux-mêmes la vie de quartier. C’est aussi la découverte d’une mixité sociale, de différents profils d’occupants, la nécessité de communiquer plutôt que de s’observer. Cela ne s’est pas fait tout seul : la mairie et Bouygues se sont beaucoup impliqués.

Sophie Haddak-Bayce : La vie se met en place à l’échelle de la copropriété, pour la mise en route du chauffage collectif, la gestion des espaces publics, le stationnement, les poubelles… Tout cela n’est pas forcément prêt tout de suite. Il y a un temps de calage, il compte car il peut créer du lien. Mais de mauvaises habitudes peuvent aussi s’installer, des dégradations, du stationnement sauvage. Il y a toujours ce double aspect dans les quartiers neufs. C’est comme une greffe, cela ne prend pas forcément tout de suite, c’est du temps long pas toujours audible par les habitants pris dans leur vie quotidienne.

- À Ginko les poubelles enterrées deviennent souvent des décharges sur la voie publique, faut-il y voir le signe d’une vie collective qui fonctionne mal ?

E. G. : Au début les bacs enterrés étaient sous-dimensionnés, les couvercles ne fermaient pas bien, les gens utilisaient des sacs trop grands, cela a entraîné des problèmes d’hygiène, d’incivilités. Est-ce spécifique à Ginko ? Les bacs enterrés ne fonctionnent pas bien ailleurs, notamment dans le centre-ville. Il y avait peut-être une attente plus forte ici, dans un quartier très observé.

S. H.-B. : Ces quartiers neufs sont plus denses que la ville des échoppes, cela nécessite un autre regard sur des espaces partagés, avec plus de communs. Il y a des frottements dans cette ville mixte, dense, où il faut apprendre à partager, c’est une forme de cogestion. On y rencontre des montages de copropriétés plus complexes que ce que l’on connaissait. Pour les gestionnaires aussi c’est plus compliqué.

- Aux Bassins à flot, la vie de quartier s’est installée très rapidement…

E. G. : Bassins à flot et Saint-Jean Belcier sont apparus en lien avec les quartiers voisins, Ginko est plus isolé. Aux Bassins à flot tout est arrivé en même temps : les habitants, de grosses entreprises comme Cdiscount ou Crédit Agricole, des universités. Mais ici la question de la densité et des commerces est ressortie plus fortement qu’à Ginko. Aujourd’hui c’est un quartier qui vit par ses habitants, ses actifs, ses étudiants.

- Comment les habitants jugent-ils les logements ?

E. G. : Nos trois enquêtes font ressortir une satisfaction malgré les défauts. À Saint-Jean Belcier, 85 % de satisfaction dans les logements, 78 % pour les lieux de travail, ce sont de très bons chiffres. Les habitants expriment aussi une grosse attente : que le quartier soit terminé, la fin du bruit, de la poussière, des engins de chantier.

S. H.-B. : Il ne faut pas confondre cette satisfaction avec les jugements portés par les habitants des quartiers voisins. C’est la question de l’accueil des nouveaux habitants, qu’est-ce que je gagne, qu’est-ce que je perds ? Il y a plus de bruit, de trafic, de nuisances. Les nouveaux peuvent se sentir très bien dans un quartier, alors que les anciens sont plus mesurés.

- Que sait-on de la sociologie de ces quartiers neufs ?

E. G. : Ginko a une population de propriétaires occupants très liée à la dimension d’écoquartier, mais aussi beaucoup de locatif privé, avec une mixité sociale. Les Bassins à flot, c’est beaucoup de locataires et d’étudiants. Une spécificité : il y a énormément d’appart-hôtels et de résidences privées pour étudiants, adaptés aux écoles en alternance, avec une forte demande de logement pour une semaine par mois.


Auteur(s) : © Sud Ouest

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