Comprendre les Aubiers : urbanisme et dynamiques sociales du tumultueux voisin de Ginko

01/05/2025

À l’initiative d’Aquitanis, l’office public de l’habitat de Bordeaux Métropole, une étude fondée sur des données de gestion fine et une confrontation au terrain a été réalisée fin 2023 par l’agence d’urbanisme a’urba afin de mieux comprendre les dynamiques sociales et spatiales du quartier des Aubiers

Comprendre les Aubiers : urbanisme et dynamiques sociales du tumultueux voisin de Ginko


Vue sur Aubiers-Lac depuis l'écoquartier Ginko © Jérôme V
 

Situé à l'extrémité nord de Bordeaux, entre le lac, l'écoquartier Ginko et l'ancienne friche de Cracovie, le quartier des Aubiers-Lac est emblématique de l’habitat social bordelais. Conçu dans les années 1970 selon les principes de l'urbanisme de dalle, il abrite aujourd'hui environ 4.000 habitants dans 1.300 logements sociaux

Chargé d’histoire, longtemps isolé, ce quartier fait aujourd'hui l’objet d’un important programme de renouvellement urbain. Déployé jusqu’en 2030, pour un montant global de 166 millions d’euros, le projet ambitionne d'améliorer durablement les conditions de vie des habitants, moderniser les logements, requalifier les espaces publics et repositionner le quartier dans la dynamique de la métropole bordelaise. Dans ce contexte, une étude menée par l’agence d’urbanisme a’urba, en partenariat avec Aquitanis,un des deux bailleurs sociaux des Aubiers-Lac, a permis de dresser un portrait détaillé du quartier. Fondée sur des données de gestion fine et enrichie par les observations du terrain, cette analyse met en lumière la diversité des situations vécues par les habitants, tout en interrogeant les fragilités et les leviers d’amélioration.

Une population jeune, familiale et précaire

Les Aubiers se distingue par une population nettement plus jeune que la moyenne métropolitaine : 42 % des habitants ont moins de 25 ans, contre 32 % à l’échelle de Bordeaux Métropole. Les personnes âgées de plus de 65 ans ne représentent que 9 % des résidents, deux fois moins que dans l’agglomération.

Les ménages y sont majoritairement familiaux, avec une faible part de personnes seules et une proportion modérée de familles monoparentales. Cette structure sociale engendre des besoins spécifiques en matière d’équipements, d’éducation, et de services à l’enfance.

Mais cette jeunesse cache aussi une précarité importante : 77 % des ménages sont éligibles au PLAI (le plus bas plafond de ressources du logement social), 37 % des adultes en âge de travailler sont sans emploi, et 11 % en situation de précarité professionnelle.  Seulement 42 ménages sur 692 renseignés, soit 6% disposent de deux emplois stables.

Le quartier affiche ainsi un taux élevé d’allocataires de l’APL (54 %) et de ménages en impayés (35 %), avec des dettes parfois supérieures à 2 000 €.

© a'urba

 

Une architecture singulière, entre qualité et contraintes

Né dans les années 1970, le quartier de la Clairière des Aubiers a été conçu selon les principes de l’urbanisme de dalle, avec avec des bâtiments surélevés, dominant la ville basse de  Bordeaux, reliés entre eux par des plateformes piétonnes. Ce modèle visant à séparer les circulations piétonnes des flux automobiles, avant-gardiste pour son époque, a été largement inspiré des théories de Le Corbusier, célèbre architecte urbaniste, l'inventeur de « l'unité d'habitation » et fervent défenseur de la séparation des fonctions urbaines. Les bâtiments, principalement composés de duplex, offraient des logements perçus comme spacieux et lumineux à l'époque et encore aujourd'hui. 

Le choix urbanistique s’est progressivement révélé source de dysfonctionnements dans un quartier composé exclusivement de logements sociaux, classé QRP – quartier de reconquête républicaine – en 2018 : mauvaise lisibilité des espaces, complexité de gestion, sentiment d’insécurité dans les espaces communs ont rapidement émergé, fragilisant voire dégradant le cadre de vie quotidien. De nombreuses interventions ont été engagées au fil des années, notamment la suppression partielle des dalles dans le cadre de multiples opérations de requalification.

Dans le contexte des Aubiers, un des plus plus pauvres quartiers de la Nouvelle-Aquitaine, la configuration des logements ( à l’exception des T1 ) sur deux niveaux, une autre idée forte de Le Corbusier, s’avère peu adaptée  pour certains publics : personnes âgées, familles avec jeunes enfants, habitants à mobilité réduite ou encore ménages en situation de grande précarité, qui représentent une part majoritaire de sa population. Cette contrainte fonctionnelle pèse sur la qualité de vie et alimente la réflexion actuelle sur la reconfiguration du bâti.

Un réaménagement urbain pour réduire les fragilités

L’étude dont seule la synthèse a été rendue publique, du fait du caractère sensible des informations et en conformité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD),  a permis d’analyser la réalité du quartier à une échelle fine, non pas simplement par immeuble, mais par unités de vie, c’est-à-dire des groupes d’étages correspondant à des ensembles sociaux cohérents.

Ce découpage original révèle une grande diversité de situations au sein même des bâtiments : 34 % des unités sont peu ou faiblement fragiles, tandis que 29 % cumulent les vulnérabilités. Ces résultats confortent la stratégie de réaménagement qui vise à éviter la concentration de la précarité en rééquilibrant les attributions de logements et en adaptant l’architecture aux usages réels.

La confrontation de cette analyse statistique avec les retours du personnel de terrain d’Aquitanis (gardiennage, maintenance, gestion locative) a mis en lumière une autre géographie des difficultés, localisée dans les espaces publics ou semi-publics : dépôts sauvages, dégradations, nuisances sonores, rodéos… Un rappel que la fragilité ne se lit pas seulement dans les données, mais aussi dans l’expérience du quotidien.

 

Lire :  A'urba L’occupation des Aubiers. Détecter les fragilités : approche, méthodologique. Synthèse, décembre 2023
 


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